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Portrait

Dès leur rencontre à l’école d’architecture de Versailles, Arnaud Dambrine et Emmanuel de France envisagent de s’associer. Un concours privé de maison de santé décidera du premier sujet de collaboration, qui deviendra vite le principal centre d’intérêt de l’agence. 10 ans et 30 projets de centre de santé plus tard, le duo développe sous l’enseigne commune et énigmatique d’Oglo une architecture efficace et sobre, qui a su trouver son équilibre entre discrétion et expressivité. D’abord au service d’un programme et d’un lieu, les bâtiments dessinés par Oglo ne renoncent pas à une écriture contemporaine, savante sans être écrasante ni exclusive. Pour eux, c’est d’abord par sa matérialité qu’un projet va savoir prendre sa place dans un lieu pour en devenir partie intégrante.

Car au fil des projets, Oglo a développé un intérêt sincère pour les territoires où s’insèrent les édifices qu’elle conçoit. Souvent conduits à l’écart des métropoles, loin des pôles urbains accaparant toutes les attentions, l’agence trouve un réel plaisir à intervenir là où elle est sans doute la plus utile : dans les cœurs de bourgs délaissés, là où il ne s’agit pas de remplir une énième dent creuse mais de recoudre les tissus urbains, reconstituer une cohésion spatiale. Sollicitée pour combattre les déserts médicaux, Oglo s’est découvert une vocation qu’elle ne manque jamais d’exercer dans le cadre de ses missions de maîtrise d’œuvre : lutter contre les déserts architecturaux.



Oglo, un parcours dans la santé
Entretien avec Olivier Namias

Depuis 10 ans, l’agence Oglo conçoit
des maisons de santé. Elle détaille les particularités
de ce programme, ses caractéristiques architecturales et son rôle sur le territoire
.



Les maisons de santé sont un maillon méconnu de la chaîne sanitaire. Quelles sont leurs spécificités ? Quelles sont les différences notables de ces programmes avec les programmes hospitaliers dont nous sommes plus familiers ?

La variété des appellations – cabinet de santé, pôle santé, maison de santé pluridisciplinaire – révèle que le programme n’est pas encore totalement fixé. Certaines sont commandées par les pouvoirs publics, généralement par les communes et les communautés de communes, d’autres par des privées. Leur multiplication s’explique par la volonté de lutter contre le phénomène de désertification médicale entrainé par le regroupement des hôpitaux autour de pôles régionaux, forcément éloignés d’une partie des patients, par des équipements de taille intermédiaire. Autre différence de taille, à l’inverse de l’hôpital, ce sont des équipements gérés par des soignants et non des administratifs. L’architecte qui conçoit un hôpital répond d’abord à un programme écrit par un programmiste et a pour interlocuteur des agents de l’administration. Dans les maisons de santé, il est beaucoup plus proche des métiers, le programme est façonné par les soignants qui vont y travailler. La question du maillage renvoie à l’équipement de proximité. Les centres de santé que nous traitons comportent un nombre de cabinets qui va de trois à une quinzaine.



Est-ce un programme technique ?

Est-ce aussi technique qu’un hôpital ? Non, bien sûr, car nous n’avons pas à intégrer les fluides médicaux incontournables dans le secteur hospitalier. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de « tripaille », pour reprendre une terminologie plus corporelle ! La place des réseaux reste importante, car nous intégrons des équipements d’ophtalmologie, de radiologie, de chirurgie dentaire, et dans certains cas nous intégrons des blocs opératoires. Les débits de ventilations importants exigés dans les maisons de santé ont aussi un impact important sur le dimensionnement des espaces. Enfin, parmi les éléments techniques, il ne faut pas oublier l’isolation acoustique des cabinets de consultation. Autant d’éléments qui pèsent dans des budgets souvent assez justes, sans rien apporter sur le plan spatial ou architectural. C’est pour cela que nous cherchons à rationaliser toujours plus la technique, et réinvestir les économies sur ses postes dans la qualité d’espace et de matériaux !



L’architecture aide-t-elle vraiment le soin ? Y a-t-il une demande de la part des médecins pour plus d’architecture, ou est-ce considéré comme un luxe superflu ?

Nous pensons qu’accueillir, c’est déjà soigner. Nous croyons qu’un médecin exerçant dans un lieu de travail agréable soignera mieux, pourvu qu’il s’investisse dans la vie de ses locaux. Nous avons pu constater que certains pôles de santé dégradés n’attirent plus les patients, y compris lorsqu’ils sont situés dans des centres urbains dynamiques. C’est qu’il commence à y avoir une certaine concurrence dans le domaine ! Pour les médecins, l’implication dans le projet d’architecture souligne une volonté de construire un projet de santé et de cibler une patientèle précise. Nous avons observé cette stratégie particulière sur un centre de santé parisien créé à l’initiative de privés, qui ont vu dans l’architecture un moyen de diffuser un message d’une qualité qui ne réside pas dans l’opulence. Sur deux autres projets, des spécialistes nous expliquent que leurs patients ont changé d’attitude une fois reçus dans de nouveaux locaux. Ils ne contestent plus les devis ! Ça montre que l’architecture a une influence, et façonne aussi l’attitude des patients !



Que veulent les villes lorsqu’elles se retrouvent maîtres d’ouvrage d’une maison de santé ?

Les municipalités ou les communautés de communes demandent souvent une architecture iconique, ce qui nous paraît antinomique avec la vocation de ces bâtiments, qui appellent selon nous une architecture du quotidien. Elle doit aussi être bien reçue par les soignants que par les patients. Dans le public, les villes sont maîtresse d’ouvrage, mais on entre très rapidement en relation avec les soignants, qui sont ici en position de force. Les villes sont prêtes à beaucoup de concessions, de modifications de dernières minutes, imprévus qui peuvent nuire à la qualité du projet. Nos projets publics de santé les plus réussis sont ceux où les collectivités ont su fixer des limites, et où corps médical et la collectivité ont su s’associer plutôt que s’opposer.



Au fil des projets de santé, avez-vous dégagé des thématiques qui seraient un fil rouge dans votre travail ?

Doter les cabinets d’une fenêtre et de la lumière naturelle est une évidence telle que ce n’est même plus un sujet de projet. De même pour la gestion des flux patients soignants, un sujet sur lequel les soignants sont très vigilants. En revanche, nous cherchons à diversifier la séquence d’accueil conduisant de l’entrée à la salle d’attente. Nous avons développé plusieurs types de salles d’attentes, traitées tantôt comme un espace fermé classique, ou comme une excroissance du couloir, nous avons aussi proposé des salles d’attentes communes pour les patients des différents soignants. Les possibilités dépendent beaucoup de la façon de travailler. Nous essayons d’ouvrir les espaces d’attente vers le paysage, la ville, apporter de la lumière naturelle par des systèmes de verrières.



Les nouvelles générations d’architectes s’intéressent beaucoup à la notion de matérialité, à rebours des générations précédentes plus versées dans la virtualité, une dimension qui a depuis envahi la société. Quels sont les matériaux qui intéressent Oglo ? Et au-delà de votre goût personnel, y a-t-il des matériaux plus ou moins adaptés aux programmes de santé que vous traitez ?

Nous sélectionnons les matériaux en fonction de leur pérennité, les centres de santé étant très sollicités et souvent mal entretenus. Nous pensons aussi qu’une bonne architecture est une architecture qui vieillit bien. Nous nous sommes beaucoup intéressés à la brique. Nous explorons actuellement le béton préfabriqué, qui nous semble avoir un potentiel important, amené à se développer avec les futurs bétons bas carbonés. Le bois est très en vogue aujourd’hui, notamment chez les élus. Il nous semble peu compatible avec les programmes de santé dont les planchers doivent supporter des charges importantes, bien supérieures à celles que l’on trouve dans les programmes de logement, par exemple. La contrainte augmente la dimension des structures de façon démesurée, sans régler d’autres problèmes d’acoustiques inhérents au bois. Bien que plus fines, les structures acier sont également inadaptées, du fait que les masses métalliques perturbent les communications entre machines via ondes wifi ou autre. C’est un sujet très important dans les centres d’ophtalmologie, pour ne citer que ce type de programme.



Sur quels territoires intervenez-vous ?

Historiquement, nombre de nos projets sont situés dans des territoires ruraux touchés par la désertification médicale, mais nous intervenons aussi dans Paris, qui compte aussi son lot de déserts médicaux ou de centres de santés vétustes. Notre rayon d’action est aujourd’hui de 200 km autour de Paris, soit l’Île-de-France, la Région centre la Normandie… Nous sommes très à l’aise dans ces territoires, où les discussions entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre sont plus franches, moins frappées de snobisme. Nous voulons continuer de nous y investir, pour lutter à notre manière contre les déserts architecturaux, proposer une alternative aux maisons de santé conçues comme des stations-service.



L’architecte et le médecin partagent un exercice professionnel libéral. Quels sont vos rapports avec les médecins et le personnel soignant, quel regard portez-vous sur eux après dix ans de fréquentation ?

Nous dirions que la compréhension et l’entente sont très bonnes entre les deux professions. Formés à l’anatomie, les médecins lisent très bien les plans et les coupes, et dans certaines spécialités comme l’ophtalmologie, les praticiens ont la capacité exceptionnelle d’arriver à inverser les pleins et les vides, un exercice dont nous ne sommes pas toujours capables ! Avec le temps, nous pouvons commencer à anticiper des préférences en fonctions des professions : les infirmières, par exemple, aiment bien le rouge et nous choisissent quasi systématiquement cette couleur lorsque nous leur soumettons un nuancier. Les dentistes seront plus indépendants. La rencontre avec les différentes professions continue de nous passionner, mieux les connaître nous permet aussi d’éviter certaines erreurs d’organisation. Personne ou presque ne voudrait avoir le cabinet à côté du pédiatre, qui accueille des enfants bruyants !



Quid de la place de la forme dans le projet?

Nos deux premiers projets présentaient une grande surface qui se développaient uniquement à rez-de-chaussée, rendant difficile d’instaurer une présence de l’équipement. Maintenant on intègre des toits en pente, on a gagné du volume et donc de la présence. Aujourd’hui, même si nous suivons le contexte, nous avons tendance à penser que la forme n’est pas le sujet. Nous ne pensons pas qu’elle apporte un plus à l’équipement.



Vous évoluez vers une forme de rationalité, une sorte de machine à soigner, pourriez-vous expliquer votre démarche ?

Les bâtiments de santé sont ultra rationnels. Ils suivent une trame très régulière définie par l’unité de base du cabinet médical. Sur notre dernier projet, nous avons bouclé le plan de 1000 m2 en deux semaines, et nous avons passé les huit mois suivants à travailler sur la volumétrie. Sur la base d’un plan rectangulaire très simple, nous avons testé plusieurs hypothèses de matériaux, de fabrication, nous avons pu soumettre nos propositions à l’architecte des bâtiments de France, qui avait aussi un mot à dire sur le sujet… Ce projet marque le passage à un stade de conception ou nous n’avons plus l’impression de subir la technique, nous avons le sentiment de faire un peu d’architecture plutôt que de répondre uniquement à une fonction.



La réversibilité et la transformabilité des bâtiments sont des sujets à la mode chez les architectes et les maîtres d’ouvrage. Envisagez-vous l’évolution future de vos projets ? La forme ultra rationnelle évoquée ci-dessous s’y prête-t-elle ?

Nous avons une structure sans murs porteurs, avec juste des cloisons facilement démontables. Une sorte de bâtiment caméléon, traduisant notre volonté de livrer un équipement qui pourrait muter, devenir une école, des bureaux… Sur ces échelles relativement modestes, il est facile de mettre en place une structure constructive tramée réversible.



Pour rester sur le sujet de la réhabilitation, vous critiquez les choix des villes qui veulent insérer des centres médicaux dans des bâtiments existants. N’est-ce pas contradictoire lorsque l’on propose des bâtiments neufs transformables ?

Nous créons des bâtiments de santé qui répondent à des normes très contraignantes, en termes d’accessibilité, sanitaire, etc. Or on constate que les communes ont tendance à acheter des immeubles délabrés pour y installer leurs maisons de santé, en demandant une réhabilitation alors qu’il détruirait le bien s’il s’agissait d’implanter des logements. Nous comprenons l’intérêt de ces bâtiments, et surtout de leur emplacement, en termes de maillage urbain, dans une logique de lutte contre l’étalement urbain. Mais parfois les coques existantes sont particulièrement mal adaptées aux programmes, en termes de distribution, hauteur sous plafond, etc. Construire un nouveau bâtiment serait plus rapide et plus maitrisable en terme de budget et de délai.



Comment verriez-vous évoluer ce programme ? Qu’aimeriez-vous faire par la suite pour participer au bon fonctionnement de la chaine de santé ?

Nous trouvons que les connexions entre hôpital et maisons de santé devraient être plus développées. Pour l’instant, la maison de santé ferme ses portes à 20:30, il n’y a personne la nuit, les spécialistes tendent à rester à l’hôpital. Lors de l’épidémie de COVID 19, nous avons vu que les maisons de santé pouvaient jouer un rôle de relais sanitaire auprès des populations. Une des maisons de santé que nous avions conçue a été vidée de ses utilisateurs habituels et convertie en centre épidémiologique. On amenait les patients se faire tester, et éventuellement un véhicule du SAMU conduisait les cas les plus critiques vers des centres hospitaliers. Nous ne souhaitons pas voir se répéter les épisodes épidémiques, mais nous pensons qu’en maillant la grande échelle de l’hôpital avec la petite échelle de la maison de santé, il serait plus facile d’attirer de jeunes médecins dans les déserts médicaux. C’est sur ce genre de projets que nous aimerions travailler à l’avenir. Nous n’avons pas fait le tour de la question et pensons qu’il reste encore beaucoup de sujets qu’il est possible de faire évoluer.